7151 – Dette publique française – Implosion de production et explosion de finance. – par Jean Claude Werrebrouck – 03.10.25 – La Crise des Années 2010 –

Dette publique française – Implosion de production et explosion de finance.

par Jean Claude Werrebrouck – 03.10.25 –
Les gouvernements successifs ne savent plus comment s’y prendre pour réduire le fardeau que nous nous sommes construits. Parce que personne n’explique son mécanisme et qu’au fond beaucoup d’agents restent gagnants, sa logique d’agrandissement sans limite semble l’emporte sur le bon sens élémentaire. Rappelons son mécanisme.

Taux de change et enracinement culturel.

S’agissant plus spécifiquement de la France tout repose sur une dynamique productive en voie d’épuisement. La France ne peut plus -comme elle le faisait jadis-  rétablir sa compétitivité par la baisse de son taux de change. Il n’est plus question de rétablir des débouchés devenus insuffisants par une hausse de prix à l’importation accompagnée d’une baisse de prix à l’exportation.

Désormais, avec l’euro il, faut une dévaluation interne politiquement très difficile pour rétablir une compétitivité menacée.
Dans le contrat social qui nait après la seconde guerre mondiale, il y a adhésion forte autour de la construction d’un Etat-Providence puissant associé à la reconstruction d’un régalien solide. En période de difficulté un tel contrat ne peut valider des politiques de dévaluation interne et c’est donc la dévaluation externe qui sera régulièrement choisie et ce quel que soit le régime politique (quatrième ou cinquième République).
Le passage à l’euro sera ainsi une lourde modification des règles du jeu social traditionnel français. Il est culturellement très difficile de revenir sur l’accord historique des années d’après-guerre,  et pourtant il est devenu impossible d’en assurer la survie. D’où le grand désordre politique qui ne fait que commencer.

Une rupture.

La France constate depuis plusieurs dizaines d’années  que le marché ne fonctionne plus selon une logique d’auto accroissement musclé par une politique monétaire volontariste.
Les trente glorieuses connaissaient des soldes budgétaires variables avec la conjoncture mais jamais nous n’avons connu un enfermement dans la dette. Ce processus va progressivement s’évaporer avec les politiques de désinflation compétitive dès l’époque Mitterrand, puis celles de la construction de l’euro.
Progressivement la France va entrer dans un processus dans lequel un PIB de plus en plus artificiel sera alimenté par une explosion financière. Une réalité hélas largement invisible avec les outils classiques de la Comptabilité Nationale incapable de distinguer le réel et l’artificiel. Explication :

Dans une France souveraine La dette n’était pas un outil nécessaire.

Entre 1970 et 1974 le PIB nominal passe de 126,1 milliards d’euros à 210,1 avec un excédent public cumulé proche de 10,1 milliards.
Cette constatation banale est pourtant la fin d’une période qui va totalement disparaitre.
Il n’y a pas besoin, au cours de cette période d’un déficit public pour voir la production augmenter. On constate même une situation inverse : normalement l’excédent est une soustraction sur toutes les liquidités (L’Etat dépense moins qu’il ne gagne) et donc il y  a effet récessif appuyé par le jeu d’un multiplicateur classique.

La dette devient béquille.

Dix ans plus tard, entre 1980 et 1985, la France passe d’un PIB nominal de 453,2 milliards d’euros à 760, 5.
Le déficit cumulé de la période se monte lui à 297,5 milliards. Ce déficit est venu nourrir des comptes, eux-mêmes devenant appuis de dépenses diverses dont la production. C’est dire qu’à compter de cette période la dette devient une nécessité pour faire grossir un PIB qui cesse de s’enfler par le seul jeu des marchés. Sans les 297,5 milliards de déficit la croissance aurait- à cette époque- déjà disparue. Plus précisément le supplément de richesse (760,5 – 453,2 = 307.3) obtenu au cours de la période n’existe que par la distribution de revenus non produits pour un montant quasi équivalent ( 307,3 contre 297,5).
La croissance ne s’explique plus que par la dette.
Réalité jamais évoquée qu’il serait bon de méditer aujourd’hui.

La drogue vient soutenir la béquille.

Les choses ne feront que s’aggraver : entre 2000 et 2005, il faudra 436 milliards de déficit cumulé pour enregistrer 339 milliards de PIB supplémentaire.
C’est dire que la croissance malgré les statistiques de l’INSEE devient réellement négative. Sans déficit le PIB recule dans d’importantes proportions.
Les choses ne feront que s’aggraver avec régularité et aujourd’hui entre 2020 et 2024, il faut un déficit cumulé de 829 milliards pour 608,9 de richesse supplémentaire.
La France vit donc depuis 50 ans dans l’illusion d’une richesse créée et qui ne correspond qu’à de la dette. Illusion validée par des statistiques officielles qui parlent encore de croissance.
Il faut donc bien comprendre qu’aujourd’hui, réduire le déficit comme tous les politiques le proposent,  c’est ajouter à la destruction de richesse.
D’une certaine façon le déficit est une drogue qui masque la réalité de la non production : la France n’est pas compétitive et il faut un artifice, le déficit, pour combler un manque de marché : on permet à des agents de consommer ce qu’ils n’ont pas produite et on fait semblant de rendre des entreprises vivantes avec les béquilles des subventions.
De ce point de vue La France est devenue plus mal placée que les « pays du club med » (notamment Grèce, Italie, Espagne) qui ont malgré l’euro réussi à trouver des débouchés par le biais d’un surtourisme. D’où des finances en voie d’amélioration malgré la main de fer d’un euro inadapté.
La France n’est pas dans ce cas et son déficit ne fait que nourrir des activités improductives. En effet le déficit ne peut nourrir des activités compétitives en raison d’un taux de change qui inscrit le déficit  dans des activités débouchant sur une simple consommation locale et rarement mondiale. Le plus souvent il s’agira d’activités de services qui vont se multiplier avec l’élargissement du déficit. Oui, le déficit contribue dans un contexte de taux de change non manipulable à la désindustrialisation massive du pays.  

Les marchands de drogue exigent une rémunération

Mais la drogue développe , côté finance, un véritable mirage : ce qui gonfle les chiffres d’une production disparue fait aussi gonfler les bilans financiers et tout le déficit vient se lover sur des millions de comptes bancaires. Les titres de la dette publique doivent être multipliés d’un même montant. Et parce que le déficit ne peut qu’augmenter, la dette porteuse d’intérêt ne peut qu’étrangler un peu plus la réalité. Le déficit est une drogue mais l’intérêt en devient un prix dérivé.
Le premier effet de la drogue est de masquer l’insuffisance de la richesse produite,  le second est d’effectuer un prélèvement sur une richesse qui n’est pas produite.
Dans une logique capitaliste classique le capital mobilisé est rémunéré à partir d’une production supplémentaire autorisée par l’investissement. Tel n’est pas le cas avec la dette publique devenue masque d’une croissance disparue. Il y a donc prélèvement sur une économie malade que l’on soigne en aggravant la maladie.
En toute logique la masse des intérêts versés croit avec un stock de dettes qui ne peut être que croissant dans sa fonction d’artificialisation du réel. Un processus qui tend à devenir asymptotique sans toutefois menacer son fonctionnement. En effet malgré les flots de paroles académiques les plus avisées- notamment celles d’un Carmen Reinhart ou d’un Kenneth Rogoff – concernant les limites à la soutenabilité de la dette, on constate que cette dernière ne fait que gonfler partout dans le monde et ce sans aucune difficulté de financement. L’Etat est toujours capable d’assurer le roulement de sa dette car il trouve des institutions financières avides d’intrants.
C’est en effet que la dette publique devient matière première de plus en plus recherchée pour les jeux financiers. Et une matière première qui bénéficie des innovations technologiques – électronisation des marchés et gains à l’échange associés- pour augmenter la vitesse de circulation des capitaux. Les marges plus réduites sont compensées par des quantités toujours croissantes.
D’où l’explosion des marchés de couvertures et plus encore celui du marché des changes qui atteint quotidiennement aujourd’hui 9800 milliards de dollars. (Augmentation de 700% en 28 ans selon la BRI). La finance dont le but est son auto accroissement illimité trouve ainsi son alimentation dans l’élargissement de la dette publique. Il est ainsi peu probable que la crise financière, toujours redoutée, soit à l’ordre du jour.

 

Au moins à moyen terme, l’avenir est ainsi fait d’un amoindrissement continu de la capacité productive de la France, amoindrissement accompagné d’une croissance illimitée de la financiarisation. Les soins qu’il conviendrait d’administrer au pays sont très éloignés des réflexions et débats rencontrés sur les marchés politiques.

Jean Claude Werrebrouck – 3 octobre 2025.

https://www.lacrisedesannees2010.com/2025/10/dette-publique-francaise-implosion-de-production-et-explosion-de-finance.html