
Nouvelle journée cruciale pour EDF avec la réunion de son conseil d’administration, vendredi 22 avril. Au menu, la situation financière de l’entreprise qui doit faire face à la fois
- à l’effondrement des prix de marché de l’électricité en Europe
- et aux investissements nécessaires pour assurer la maintenance de ses réacteurs nucléaires, le fameux « grand carénage », évalué à 55 milliards d’euros.
Déjà très endetté à hauteur de 37,4 milliards, EDF a-t-il les moyens de se lancer dans le colossal projet de construction de deux EPR en Grande-Bretagne, évalué à 23 milliards ?
- C’est l’une des questions posées aujourd’hui aux administrateurs du groupe, loin d’être unanimes. Et si oui, à quel niveau sera le soutien financier de l’État ?
Recapitalisation en vue
Depuis plusieurs semaines, les réunions se sont multipliées au plus haut de sommet de l’État sur le cas EDF, dont la dernière à l’Élysée, mercredi 20 avril.
Elles tournent toujours sur un même sujet : la forme que prendra la nécessaire recapitalisation de l’État, actionnaire à hauteur de 84,5% de l’entreprise. Il pourrait décider de ne pas toucher de dividendes durant plusieurs années, comme il l’a fait cette année en laissant 1,8 milliard d’euros dans les caisses de l’entreprise.
Pour le gouvernement, l’intérêt d’un tel engagement est qu’il laisse l’essentiel de la charge à ses successeurs. Chez EDF, on ne manque d’ailleurs de rappeler que l’effort consenti par l’État cette année au titre de l’exercice 2015 est relativement modeste. Il a renoncé à 1,8 milliard d’euros de dividendes. mais a récupéré….1,4 milliard d’euros, grâce à la Commission européenne. L’entreprise aurait bénéficié d’une franchise d’impôt considérée par Bruxelles comme une aide d’État. Une vieille histoire puisque le litige date de 1997.
L’ouverture du capital de RTE, la filiale de transport est aussi à l’étude. L’idée de céder la moitié des parts à la Caisse des dépôts est envisagée, ce qui permettrait de dégager plusieurs milliards.
Mais les marges de manœuvres sont assez limitées. «Il va déjà falloir défendre devant la Commission la recapitalisation de 5 milliards d’euros qui a été promise à Areva en janvier. Rajouter celle d’EDF semble difficile », souligne une source bien informée. L’électricien n’aurait d’ailleurs pas besoin d’argent frais avant 2019, date à laquelle plusieurs emprunts arrivent à échéance.
Un plan d’économies à prévoir
Dans tous les cas de figure, EDF doit revoir sa « trajectoire financière », pour tenir compte de la nouvelle donne du marché européen de l’énergie. À la fin 2015, l’entreprise avait calé ses prévisions sur un prix de gros de l’électricité de 35 € le mégawatt-heure. Il tourne actuellement à 26 €.
Certes, EDF ne vend pas toute son électricité à ce niveau-là, puisque la plupart des contrats de fourniture sont calés sur plusieurs années, mais la tendance est clairement à la baisse des prix. S’ils restent au niveau actuel, le manque à gagner pour EDF est évalué à 2 milliards d’euros sur l’année. De nouvelles économies sont donc à prévoir.
En janvier déjà, le groupe a annoncé une réduction de 5% de ses effectifs en France d’ici à 2018, ce qui correspond à la suppression d’environ 3 500 postes au sein de la maison-mère. Une première dans l’histoire du groupe, qui fête ses 70 ans. Un plan de réduction de coûts de 700 millions a également été mis en place. Les syndicats estiment que certaines filiales comme ERDF (la distribution) pourrait aujourd’hui être impactée au travers d’un nouveau plan social.
L’épine anglaise
Reste le cas des deux EPR anglais qui déchirent l’entreprise. Unanimes, les syndicats sont farouchement opposés au projet estimant qu’il risque de mener l’entreprise tout droit vers la faillite.
Ils réclament un report de plusieurs années, le temps notamment que l’EPR de Flamanville soit terminé (fin 2018 normalement, après bien des difficultés) et qu’arrivent les premiers retours d’expérience des EPR chinois, dont la construction s’achève à Taishan.
En mars, le directeur financier Thomas Piquemal, a démissionné avec fracas, affirmant qu’il ne voulait pas prendre la responsabilité d’un tel projet. Au sein de l’état-major, les « pour » et les « contre », s’empoignent au travers des pétitions et des courriers anonymes. L’ambiance est délétère.
Le gouvernement pousse en revanche à ce que la décision d’investissement soit prise très rapidement. « Si EDF n’y va pas, la France ne vendra plus de réacteurs nucléaires à l’étranger et laisse la place aux Chinois », souligne-t-on à Bercy. Il faut faire vite et le gouvernement anglais, qui s’est engagé à racheter à bon prix l’électricité des deux EPR durant 35 ans, s’impatiente. Après la mi-mai, il ne pourra plus prendre de décisions, en raison de la campagne électorale du référendum.
Ils accusent l’État d’être responsable de la situation actuelle de l’entreprise et lui demandent de racheter leurs parts.
Et si l’action EDF était retirée de la Bourse de Paris ?
C’est la requête déposée officiellement à l’Autorité des marchés financiers (AMF), mercredi 20 avril, par l’association EDF actionnaire salarié (eAS). Les salariés d’EDF affirment détenir aujourd’hui 1 ,5 % du capital.
Cette demande en dit long sur le désarroi de beaucoup d’agents d’EDF, « dont certains ont placé une grande partie de leurs économies dans des actions de l’entreprise, vivement encouragés par la direction », affirme Benoit Gailhac, le président d’eAS.
Ce projet d’offre publique de retrait (OPR) se ferait à 32 €, soit le cours d’introduction, ce qui représenterait un coût d’environ 8,5 milliards d’euros. Difficile à imaginer dans le contexte actuel. Une proposition du même type avait pourtant été évoquée, il y a quelques semaines, par l’ancienne ministre de l’énergie, Delphine Batho.
La dégringolade boursière
Le titre EDF avait été introduit en bourse en novembre 2005 et avait intégré le CAC 40 un mois plus tard.
L’action avait dépassé les 80 € à la fin de 2007, permettant à EDF d’être une des premières capitalisations de la place, avant de dégringoler ensuite, en raison notamment du marasme dans le secteur de l’énergie et des inquiétudes sur le nucléaire après l’accident de Fukushima en mars 2011.
Le titre est tombé fin février en dessous de 10€, après sa sortie du CAC, en décembre 2015, pour être remplacé par Klépierre, une société foncière qui gère des centres commerciaux. Cette relégation a été très mal vécue en interne, et une procédure d’alerte a été déclenchée par les syndicats sur la situation économique de l’entreprise.
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Les actionnaires salariés dénoncent l’attitude de l’État
« Alors que l’État détient près de 85 % du capital, il se comporte comme le seul propriétaire d’EDF en se servant de l’entreprise comme d’un bras armé de sa politique industrielle », dénonce l’association des salariés actionnaires.
Dans l’argumentaire d’une trentaine de pages déposé à l’AMF, elle rappelle notamment la décision de reprendre la branche réacteurs d’Areva, imposée par Bercy, et le projet tant décrié de construire deux EPR sur le site d’Hinkley Point, en Grande-Bretagne.
« L’État est en train de changer l’objet social de l’entreprise pour la faire passer du rôle d’exploitant à celui de constructeur de centrales, pour sauver la filière nucléaire française et garder l’espoir de vendre des réacteurs à l’export. EDF est devenue un projet politique », affirme Benoît Gailhac.
Les craintes autour d’Hinkley Point
L’association met également en avant les incertitudes financières entourant le projet Hinkley Point, qui va coûter environ 23 milliards d’euros (18 milliards de livres), soit un montant équivalent à la capitalisation boursière d’EDF, qui aurait 66,5 % des parts aux côtés de son partenaire chinois CGN. Les syndicats, qui y sont tous hostiles, mettent en garde contre un « risque de faillite » de l’entreprise.
Pour financer le chantier, l’État pourrait procéder à une augmentation de capital d’EDF. L’opération diluerait d’autant la part des actionnaires minoritaires, dont les salariés, peu enclins à remettre au pot.

