299-« NoSteak ! » Le poids des mots suite au choc de la photo

2016.02.06 j.aime le cochon !!!12654417_10207703479617859_131771148515544413_n

Nosteak

J’ai enfin lu le fameux livre du journaliste français Aymeric Caron : No Steak.

Ce livre énonce des faits et des arguments allant dans le sens de plus de respect de la vie animale, mais l’angle d’approche et le style sont bien différents d’autres textes, et notamment de celui de Fabrice Nicolino et son essai Bidoche. Là où Nicolino s’intéresse avant tout à l’élevage industriel, Caron parle clairement de végétarisme.

nosteak

Je n’énumérerai pas en détail les habituels arguments en faveur du respect de la vie animale et du passage au végéta*isme. Le livre parle encore une fois de souffrance infligée inutilement à des êtres sentients réifiés, de répartition des richesses et des ressources naturelles, d’écologie, de santé…

Mais en plus de citer des chiffres et des déclarations d’experts de façon très pertinente, Aymeric Caron ose parler d’éthique dans nos rapports avec les animaux, le tout dans un style agréable et facile à lire. Un peu comme une discussion franche avec quelqu’un d’informé, de cultivé mais d’honnête et sans jugement.
Et ça c’est un parti pris intelligent et honorable de la part de Caron que celui de rester ouvert. Il ne rompt jamais le dialogue avec le lecteur qu’il soit végéta*ien ou non.

Les premières lignes de son livre font même preuve d’auto-dérision et de lucidité quant à l’image que le végétarisme renvoie encore aujourd’hui et aux difficultés de communiquer entre partisans des différents régimes alimentaires.
Il ajoute également beaucoup d’anecdotes personnelles, ce qui est quelque chose de non contestable puisque vécu (même si un cas particulier ne représente pas une généralité). Il casse ainsi pas mal de préjugés relatifs aux végétariens, il brise la glace.
Il a raison car c’est une des raisons qui peuvent faire abandonner l’idée de passer au végétarisme : la peur d’avoir une vie morne et d’être isolé-e socialement…

Le végétarien ne fait pas rêver. Il évoque l’austérité, l’ascèse, la contrition. Le végétarien est une espèce dissidente de la famille des Homo sapiens, dont il a choisir de s’exclure en s’enfermant dans une sinistre marginalité alimentaire.
[…]
Oui, le végétarien est chiant. Je sais de quoi je parle, j’en suis un depuis vingt ans.

Ce qui est gonflé dans No Steak, il me semble, c’est de répéter tout le long du livre que c’est sûr, bientôt nous serons tous végétariens !
Est-ce qu’à force d’entendre cela, il sera plus probable pour un omnivore de franchir le pas ? Est-ce que cette éventualité deviendra moins folle, plus acceptable, moins saugrenue, plus évidente ?

En tout cas, la démonstration faite dans No Steak appuie cette hypothèse et le lecteur aura sans doute bien du mal à la trouver farfelue après avoir pris connaissance des informations cruciales relatives à la consommation de viande et autres produits d’origine animale.

Que ce soit par empathie envers les animaux, par philosophie, par conscience écologique, par humanisme ou par souci de sa propre santé, le lecteur ne pourra nier que l’indifférence et le mépris serait les pires des réactions maintenant qu’il sait.

536033_233039586796212_419629839_n

Même si je lis de nombreux articles de presse, de blogs et des livres depuis plus d’un an maintenant, j’ai eu plaisir à lire No Steak parce que j’y ai quand même appris des choses.

  • L’aspect sociologique est par exemple plus développé que dans d’autres ouvrages (j’avoue que je sature d’infos statistiques et froides en ce moment).
  • La partie sur le cannibalisme est par exemple très intéressante. Cette pratique jugée immorale et intolérable actuellement et qui est pourtant répandue dans le temps et l’espace est donc à peu près aussi « naturelle » chez l’Humain que la consommation de chair en général. Pour autant nous l’avons abandonnée puisqu’elle est cruelle et inutile.

Dans le chapitre 6, Aymeric Caron expose des données scientifiques, historiques et anthropologiques. Il aborde l’évolution de l’alimentation des Humains depuis la préhistoire. Il rappelle que dans notre histoire évolutive, nous n’avons consommé de la chair animale que très tard, nous n’avons commencé à chasser que dans un contexte de grand froid où, les végétaux étant rares, il en allait de notre survie. Enfin nous avons eu besoin de développer des outils et de maîtriser le feu pour pouvoir consommer de la viande.

Il s’interroge par la suite sur l’incohérence d’un des arguments souvent avancés par les défenseurs du régime carné :

[…] pour expliquer pourquoi ils n’imaginent pas renoncer à manger d’autres êtres vivants, ils sont obligés de revendiquer leur plus profonde animalité, c’est-à-dire leur appartenance à la famille des espèces qui se bouffent entre elles pour ne pas être bouffées. Sauf que, dans le même temps, ils justifient la barbarie et le mépris avec lequel ils exploitent certains animaux non humains par le fait que ces derniers ne sont, eux, « que » des animaux (« Ce n’est que des bêtes ! »), sous-entendant ainsi que les humains n’appartiennent pas à cette catégorie.

1069250_573455642709890_1320015403_n

Aymeric Caron parle de deux rencontres avec des véganes dogmatiques qui se sont permises de le juger, lui qui n’est « que » végétarien. Cela lui a apparemment laissé un mauvais a priori de l’écueil dans lequel on peut facilement tomber lorsqu’on veut être végane. L’extrémisme, l’intolérance, l’arrogance de ceux qui font mieux que tous les autres…
Effectivement être végétalien-ne ou végane, ce n’est pas être parfait. C’est simplement essayer de faire au mieux. Ce n’est pas non plus se poser en juge. Le mieux est d’entamer le dialogue, d’informer. Nous avons tous nos incohérences et il ne faut pas tomber dans le mythe de la pureté. Pour autant, de façon factuelle, il est vrai de dire que quelqu’un qui consomme des oeufs et des produits laitiers à la place de la viande n’évite pour ainsi dire aucune souffrance animale dans nos sociétés modernes. C’est donc un engagement éthique non abouti d’être végétaRien. Cette cohérence qu’on peut qualifier d’extrémisme est surtout une attitude logique et radicale.

En vérité, Aymeric Caron est simplement tombé sur des personnes désagréables. Il tire pourtant de bonnes conclusions, en fin de compte (ce qui fait que je ne me suis pas vraiment sentie rejetée en tant que végane). Il est également en pleine réflexion au moment où il écrit son livre et ça se sent. Il se dit végétarien mais ne consomme presque plus de lait ni d’oeufs. Il est un peu « entre deux chaises » sur certains sujets (le cuir par exemple). A quoi bon vouloir absolument se coller un étiquette de toutes façons ?
Aymeric Caron sait aussi qu’il s’agit surtout de rester ouvert et prêt à changer.

J’ai également apprécié le petit panorama de la vision du végétarisme dans différentes cultures (particulièrement les Bishnoï d’Inde), et dans les différents courants de pensée à travers les âges. Il explique enfin les diverses positions des animalistes actuels, avec entre autres, le fameux débat entre welfaristes et abolitionnistes.

923406_436354516471238_983876863_n

Le gouffre financier que représente la production et la consommation de viande est également dénoncé. Les contribuables français paient de leur poche pour renflouer des industries non viables. Sans parler du néo-colonialisme qui maintient la misère dans d’autres pays.

Mais le plus incompréhensible, c’est le système cautionné par Bruxelles. Lisez plutôt : Doux, qui faisait alors travailler en France près de 800 aviculteurs bretons et 3 500 salariés payés au minimum, élève (« fabrique », plutôt) des poulets bas de gamme à la chaîne. L’entreprise exporte sa marchandise congelée vers le marché africain et l’écoule à des prix défiant toute concurrence, au grand dam des éleveurs locaux, dont ce système provoque la ruine. Pour que ces prix bas soient possibles tout en permettant à la famille Doux de s’enrichir, les subventions européennes compensent les pertes. Pendant des années, les dirigeants de l’entreprise ont donc été rémunérés grâce à votre argent, à vous lecteurs, pour produire une viande de qualité contestable qui a notamment servi à appauvrir encore plus des paysans démunis dans des pays sous-développés. Hallucinant.

La position du gouvernement français par rapport à l’élevage industriel est l’immobilisme, et même le soutien à l’incitation à la consommation de produits animaux.

Il est bien plus aisé de pousser au maximum les leviers d’une industrie existante (en l’occurrence celle de la viande et des produits de l’exploitation animale) que de mettre en place une agriculture totalement réformée sur le plan, qui s’appuierait uniquement sur les végétaux. C’est la même chose dans le domaine de l’énergie, où il est plus simple de continuer à parier sur le nucléaire que de développer les énergies nouvelles.

1502569_729596300394717_1862630608_n

J’ai aimé lire No Steak parce que je me suis sentie comprise, à l’aise.
Mais je ne sais pas exactement comment un non-végéta*ien se sent lors d’une telle lecture.
Apparemment le livre a été bien accueilli, mieux encore que ne l’espérait Aymeric Caron, lui qui constate que le végétarisme est de mieux en mieux accepté, même si le chemin est encore long.

source : https://peuventilssouffrir.wordpress.com/2014/01/05/no-steak/