6188 – Elections législatives … le Grand chaos national – par Jean Claude Werrebrouck – 14.06.24 – La Crise des Années 2010


Jean Claude Werrebrouck
Les prochains jours seront agités…et vont le rester longuement. Nous proposons ci-dessous une réflexion tentant de dépasser les simples commérages médiatiques.
par Jean Claude Werrebrouck – 14.06.24 – La Crise des Années 2010

I – Les entrepreneurs politiques

Tout d’abord il faut admettre que les instances politiques, en particulier l’État lui-même,  sont animées par des acteurs qui sont, comme tous les humains animés par des intérêts privés : le consommateur cherche à maximiser son bien-être, le salarié est à la recherche de meilleures rémunérations, l’entrepreneur économique tente de maximiser son profit…l’entrepreneur politique cherche à conquérir le pouvoir ou à se reproduire au pouvoir. 
Et il est correct de parler « d’entrepreneurs politiques » car il s’agit d’individus qui – non salariés le plus souvent- sont en quelque sorte des « franchisés » d’entreprises politiques. Par exemple, un député est un personnage qui utilise une « marque » ( Modem, PS, RN, etc.) pour conquérir une place dans l’Assemblée Nationale. Il est donc bien un entrepreneur franchisé et comme tout franchisé, il utilise la marque en « vendant/produisant » des produits politiques ( ils produisent la loi donc « l’universel » de la société). La vente des produits politiques se réalise sur un marché politique qui correspond comme beaucoup de marchés économiques à un lieu et un temps qui est ici le « jour des élections » se déroulant dans des espaces publics (écoles , mairies, etc.)

II – Les entreprises politiques

Les entreprises politiques  ne disposent pas d’actionnaires mais de « militants » ou supporters animés par une idéologie présentée et vécue comme un « intérêt général ». A ce titre ils restent convaincus que l’Etat- monopoleur/ dépositaire des règles du jeu global- se doit de travailler en ce sens et tentent de le capter pour assurer la réalité de cet intérêt prétendu général.
Les entreprises politiques et leurs franchisés sont en concurrence sur le marché politique comme les  entrepreneurs économiques le sont sur les marchés économiques. L’Etat est ainsi le réceptacle unique des produits politiques qui ont été les mieux « vendus » c’est-à-dire qui sont le produit d’une victoire électorale.
Une entreprise politique qui, en démocratie gagne les élections, devient ainsi monopoleur de la production de l’universel de la société. Ce monopole est un gain politique et d’une certaine façon l’entreprise politique et ses entrepreneurs est une machine qui utilise les outils de la puissance publique à des fins privées : accès au pouvoir ou reconduction au pouvoir.
Vendre des produits économiques se trouve assorti de coûts privés, mais vendre des produits politiques est assorti de bénéfices privés (pouvoir) et de coûts publics (impôts). Les entrepreneurs politiques et leurs entreprises ne supportent que fort indirectement les coûts de leur activité. Comme dans les entreprises économiques qui généralement vendent des gammes de produits, les entrepreneurs politiques vendent des gammes appelés « programmes ».

III – Cohérences programmatiques de jadis.

La France a connu une période appelée : « 30 glorieuses » dans laquelle les programmes des entrepreneurs politiques semblaient  d’une grand cohérence. Voici ce que nous écrivions à propos de cette période :
 « Le régime fordien de croissance donne lieu à des synthèses programmatiques relativement aisées en raison d’une certaine congruence des intérêts des divers acteurs.     L’acceptation du salariat est d’autant plus facile que la redistribution est réelle et réellement nourrie par de réels gains de productivité. Le partage des gains est aussi l’intérêt des entrepreneurs économiques dont l’offre rapidement croissante de marchandises se doit de disposer de débouchés croissants et réguliers.
Une régularité toute promise par les entrepreneurs politiques qui construisent un Etat-providence porteur de social-clientélisme et donc de bulletins de vote. Salariés et consommateurs ne connaissent pas d’intérêts opposés dans un monde largement constitué d’un « dedans » protecteur, bien séparé d’un « dehors » :  séparation garantie par les entrepreneurs politiques qui protègent la Nation. Le dedans est lui-même relativement douillet : puisque protégé, il limite sérieusement les risques de prédation offerts par une possible exacerbation de la concurrence. Parce que la concurrence est ainsi contenue, les moins performants du jeu économique ne sont pas exclus : l’éventuelle sous-efficience se paye de moins de richesse mais non d’exclusion radicale. Les seuls relativement exclus sont ainsi les épargnants victimes de la répression financière qui caractérise aussi le régime fordien: la fameuse « euthanasie » des rentiers chère à Keynes. » 
 Globalement dans ce type de monde les entrepreneurs politiques peuvent offrir sur les marchés politiques une assez grande cohérence programmatique donc des produits politiques crédibles…renforçant la crédibilité des entreprises politiques et de leurs entrepreneurs. L’idée d’intérêt général était porteuse de sens et si les entrepreneurs politiques mobilisaient les outils et moyens de la puissance publique à des fins privés, ce qui ne peut leur être reproché tant cela est dans la logique de leur positionnement, ils étaient légitimés par des résultats visibles : croissance spectaculaire, moyennisation de la société, sécurité croissante dans tous domaines, capacité à se projeter dans un avenir positif, etc.  Globalement nous pouvions vivre dans une société de relative confiance. Tel ne peut plus être le cas aujourd’hui en mondialisation.

 

IV – Incohérences programmatiques d’aujourd’hui.

 Voici ce que nous écrivions il y a quelque temps pour caractériser cette nouvelle période dans laquelle nous sommes encore :
« Le salaire qui était simultanément « coût » et « débouché » dans un monde où l’économie se représentait comme circuit, n’est plus qu’un coût à minimiser. Le consommateur qui peut accéder sans limite aux marchandises mondiales ne voit plus son intérêt soudé à celui  du salarié.
L’épargnant cesse d’être la victime de la répression financière et reprend le pouvoir dans les entreprises à financement désintermédié. La finance jusqu’ici réprimée, se libère et ne voit plus son profit assis sur l’investissement de long terme mais bien davantage sur la simple spéculation.
 La concurrence exacerbée par l’ouverture sans limite, d’abord du marché des biens réels, puis sur l’ouverture elle- même sans limite du compte de capital, segmente les producteurs entre ceux qui sont suffisamment armés pour résister à la concurrence et ceux qui le sont moins.
Alors que l’employabilité était un mot vide de sens dans un fordisme qui intégrait les plus démunis, elle devient progressivement le mot à la mode. Avec le souci , comme l’énonce la langue bureaucratique, de s’intéresser aux « personnes les plus éloignées de l’emploi ».
Cette non-employabilité est le fruit du changement de paradigme, qui fait que la mondialisation dérégulée, ne peut plus assurer un équilibre entre offre globale et demande globale.
Au temps du fordisme, il appartenait aussi aux grandes entreprises politiques de veiller à ce que le salaire soit autant « coût » que « débouché », ce qui correspondait aussi à leur propre intérêt en ce qu’elles bénéficiaient des retombées électorales de la construction de l’Etat-providence, lui même devenant une sorte d’assurances de débouchés pour les entrepreneurs économiques.
Ce modèle disparait avec la mondialisation dérégulée et il ne peut plus exister d’acteurs qui, en surplomb du jeu économique, veille à la redistribution des gains de productivité à l’échelle planétaire.
Parce que le salaire n’est plus qu’un coût à comprimer, les gains de productivité ne sont plus redistribuables, et il en résulte une tendance générale à la surproduction.
  D’où le caractère devenu sauvage de la concurrence : il n’y a pas de place pour tous au « grand banquet de l’écoulement de la marchandise » et donc de sa vente profitable, et ce malgré les énormes dépenses au titre de cet écoulement, dont la publicité et ces nouveaux métiers dits du « marketing » dont le fordisme se passait aisément. Parce que la mondialisation dérégulée est un régime de crise permanente de surproduction, on comprend mieux que les pays du centre qui ont abandonné  le fordisme classique seront davantage touchés par les questions d’employabilité.
Les grandes entreprises politiques chargées d’exprimer le nouvel universel ne peuvent que payer le prix de cette énorme dislocation. »

 On comprend ainsi très bien que les entrepreneurs politiques travaillant sur un marché politique – dans lequel les citoyens attachés à leur vieil Etat-Nation refusent globalement la mondialisation – se trouvent en grande difficulté. Cette dernière va apparaître sous la forme d’une très grande incohérence programmatique. Entreprises politiques dites de droite, comme de gauche ou du centre, ou dite « populistes », se trouvent progressivement démonétisées en raison d’une  grande incohérence des programmes rendant fort grande la distance entre les promesses et la réalité constatée.
On peut donner quelques exemples :
  • Impossibilité de faire baisser le coût du travail tout en maintenant l’État-providence , 
  • Impossibilité de réindustrialiser malgré les aides,
  • Impossibilité de maintenir une agriculture ne pouvant emprunter les normes mondiales,
  • Impossibilité de rétablir les comptes extérieurs tout en glorifiant une monnaie unique surévaluée  comme bouclier de protection,
  • Impossibilité de contenir la dette publique qui grossit avec le maintien artificiel d’un Etat- providence comme produit politique de base,
  • Impossibilité de maintenir la cohérence des territoires et de contrer la désertification,
  • Impossibilité de contenir l’immigration par la fin des frontières, Impossibilité de lutter contre les fraudes diverses en raison de la liberté de circulation du capital et la présence de paradis fiscaux à l’intérieur même du territoire de l’UE,
  • Impossibilité de concilier les intérêts du salarié avec ceux du consommateur, Etc.
Eric Ciotti  &  Jordan Bardella

V – Prospective

La confiance disparue, les entrepreneurs politiques deviennent, au mieux, une armée taxée d’incompétence généralisée.  Les produits politiques qui assuraient le maintien ou la reproduction au pouvoir ne sont plus, comme par le passé, facilement commercialisables. D’où des « stocks invendables » matérialisés par l’absentéisme aujourd’hui….mais la probable violence demain. D’où l’accélération de la course aux mensonges dans la concurrence entre entreprises politiques, ou les tentatives de cartellisation/décartellisation renforçant l’incohérence programmatique et le risque de rejet.
De quoi, dans un pays qui s’était construit autour d’un État puissant, précipiter sa marche vers un chaos déjà très perceptible et qui fait le régal des plateaux de TV.
L’entrepreneur politique en chef, celui qui est au-dessus de toutes les entreprises politiques et qu’on appelle le chef de l’Etat a lui-même participé à sa propre déstabilisation en accélérant la course à la mondialisation, en cartellisant des entreprises politiques déjà démonétisés (2017) et en précipitant le calendrier électoral (aujourd’hui).

Président Macron

Il espère encore que cette dernière décision sera le piège dans lequel chutera la nouvelle entreprise populiste qui, devenue grande,  se propose d’engloutir les concurrents démonétisés. Cette nouvelle entreprise politique devenue grande devrait se méfier car, comme les autres, elle est incapable de produire une cohérence programmatique.
Durant la campagne, qui va oser évoquer
  • le produit politique « finance' »? 
  • le produit politique « fin de l’indépendance de la banque centrale »?
  • le produit politique « monnaie unique »? 
Autant de  produits à priori devenus invendables sur le marché poltique. 
L’entrepreneur politique en chef propose un autre produit plus douillet « la dépolitisation du politique au nom de la rationalité ». Forme suprême de l’incohérence programmatique….et probablement de l’inculture technocratique.
Hélas, si l’on va plus loin, cette incohérence programmatique est le fait de ce qoi est devenu une incohérence sociètale. Il n’est plus possible pour l’entreprenuriat politique de rester généraliste  face à l’éclatement de la société. De la meme façon que les grandes surfaces de la « Grande Distrition » sont délaissées au profit de magasins  spécialisés, le marché politique devient espace éclaté peuplé de niches. Ce qui questionne les fondements mêmes de ce qu’oa appelle le politique à savoir un « commun » d’un groupe, commun s’imposant à chacun. S le commun se contracte, ou se fragmente comment ne pas comprendre l’évaporation du politique et ses incohérences ? 
Seules des questions géopolitiques majeures et menaçantes peuvent réintroduire le commun. La gestion de la guerre en Ukraine sera -t-elle apporteuse d’un renouveau sociétal? 
En attendant et à court terme la France entre dans une période particulièrement difficile.
On est loin de la période des 30 glorieuses  et de la 2CV….

http://www.lacrisedesannees2010.com/2024/06/elections-legislatives-le-grand-chaos-national.html


 

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